Washington, D.C. — Décembre 1988
Le building de la National Underwater and Marine Agency, une construction métallique couverte de verre réfléchissant, élève ses trente étages sur une colline, à l’est de Washington.
Au dernier étage, l’amiral Sandecker est assis à un vaste bureau taillé dans un panneau de cale pris sur un ancien forceur de blocus de la flotte confédérée. On appelle sur sa ligne personnelle.
— Ici, Sandecker.
— Pitt est arrivé, Amiral.
Sandecker pousse un bouton sur un cadran qui déclenche une caméra de télévision haute fidélité. La silhouette grandeur nature de Pitt apparaît au centre de la pièce, en couleur et en trois dimensions.
— Relevez votre caméra, dit Sandecker. Vous vous coupez la tête.
Grâce aux miracles de la transmission par satellite, le visage de Pitt semble sortir de ses épaules, et son image, sa voix et ses gestes deviennent semblables à l’original. A cette différence près, qui amuse toujours Sandecker, c’est qu’il peut passer la main au travers de cette image parce qu’elle est totalement immatérielle.
— C’est mieux comme ça ? demande Pitt.
— En tout cas, je vous vois en entier maintenant, dit Sandecker qui passe immédiatement au sujet qui l’intéresse ; quelles sont les dernières nouvelles de Walter Bass ?
Pitt paraît fatigué. Il est assis dans un transatlantique sous un grand sapin, et la brise fait voler sa chevelure corbeau.
— Le spécialiste du cœur de l’hôpital militaire Fitzsimmons de Denver dit que son état est stationnaire. S’il passe les prochaines quarante-huit heures, ses chances de guérison sont bonnes. Dès qu’il pourra supporter le voyage, ils doivent le transférer à l’hôpital de la Marine de Bethesda.
— Et les ogives ?
— Nous les avons transportées jusqu’à l’embranchement du chemin de fer à Leadville, explique posément Pitt. Le colonel Steiger s’est chargé de les expédier au quai n° 6 à San Francisco.
— Dites à Steiger que nous le remercions de sa collaboration. J’ai ordonné à notre bateau de recherches du Pacifique de se tenir prêt. Le skipper a reçu l’ordre de jeter les ogives au large du plateau continental dans un fond de 3 000 mètres. (Sandecker hésite une seconde avant de poser la question suivante.)
— Avez-vous retrouvé les traces des huit ogives manquantes ?
Une moue négative de Pitt répond avant que son image ne parle.
— Non, Amiral. Et notre exploration minutieuse du fond du lac ne nous en a révélé aucune trace.
Sandecker lit le regret sur le visage de Pitt.
— J’ai peur que le moment soit venu d’avertir le Pentagone, dit-il.
— Croyez-vous honnêtement que ce soit la chose à faire ?
— Avons-nous un autre choix ? riposte Sandecker. Nous ne disposons pas des moyens nécessaires à une enquête approfondie.
— Tout ce qu’il nous faut, c’est un indice, insiste Pitt. Il y a des chances que les canisters soient emmagasinés quelque part, couverts de toiles d’araignée. Il est même possible que ceux qui les ont volés ignorent ce qu’ils ont réellement entre les mains.
— Je veux bien, dit Sandecker. Mais tout d’abord, qui s’en encombrerait ? Bon sang, ils pèsent pas loin d’une demi-tonne la pièce, et, à leur aspect, on les prendrait facilement pour des obus de marine déclassés.
— D’autre part, la réponse nous conduira aux assassins du père de Loren Smith.
— Sans corpus delicti, pas de crime, observe Sandecker.
— Je n’oublie pas ce que j’ai vu, dit calmement Pitt.
— Cela ne chance rien à la situation. Le dilemme est clair : comment retrouver trace de ces étuis disparus, et comment y parvenir avant que quelqu’un ne s’amuse à jouer au spécialiste du déminage ?
Pitt semble soudain retrouver son ardeur.
— Vous venez de dire quelque chose qui me fait réfléchir. Donnez-moi cinq jours pour dénicher les canisters. Si je n’y réussis pas, alors je vous repasse la balle.
La proposition de Pitt amène un mince sourire sur les lèvres de l’amiral.
— Il se trouve que cette balle m’appartient déjà, de quelque manière qu’on examine l’affaire, dit-il sèchement. En ma qualité de haut fonctionnaire impliqué dans ce sac de nœuds, la responsabilité m’en est tombée sur la tête le jour où vous avez détourné un avion et une caméra de télévision sous-marine de la N.U.M.A.
Pitt ne baisse pas les yeux, mais il observe un silence diplomatique. Sandecker le laisse mariner ainsi un moment et continue de se frotter les yeux.
— Okay, reprend-il enfin. En dépit de tout mon bon sens, je veux bien accepter le risque.
— Vous marchez, alors ?
Sandecker ne résiste plus.
— Vous avez cinq jours, Pitt. Mais que Dieu nous protège si vous revenez les mains vides !